Dévisualisation,

Décomposer… c’est un peu comme déconstruire. Il y a derrière cette démarche un espoir. Celui du rafraîchissement. De la potentialisation. L’envie aussi de chérir tout ce que l’affirmation paradoxalement nie. Et puisque chaque forme, qu’elle le veuille ou non, nie autant qu’elle affirme, rompre les lignes revient à questionner. Alors quand Crespel déconstruit ou décompose, je ne peux m’empêcher de penser aux écarts de Rancière et à sa dévisualisation. A la joie manifeste qu’éprouve le philosophe lorsque, subitement relégué à l’amateurisme du spectateur, il découvre la liberté d’aimer et de vibrer indépendamment des autorités de la théorie, du savoir et de l’école. Au fond, que l’on parle de cinéma ou de peinture, l’idée demeure: “un art n’est jamais simplement un art ; c’est toujours en même temps une proposition de monde”.

  Decomposing is a bit like deconstructing. Behind the approach hides a sort of hope; for refreshments and new possibilities. There is also a certain desire to cherish everything that the statement would paradoxically deny. And, given that each form—whether it likes it or not—denies as much as it affirms, breaking the lines amounts to questioning. Therefore, when Crespel deconstructs or breaks down, I cannot help but think of Rancière’s deviations and his devisualisation. I think of the obvious joy that fills the philosopher when, suddenly relegated to the spectator’s amateurism, he discovers the freedom to love and vibrate without the burdening authority of theory, knowledge and school. In fact, whether we talk about cinema or painting, the idea remains the same: “an art is never just an art; at the same time, it is always a suggested world.”

 Film Fables (in French: Les Écarts du Cinéma), Jacques Rancière

2020 painting

Erotic Landscape 130×180 2020
Silk Study 130×180 2020
Silk Study 2 130×180 2020

Study of Human body 130×180 2020

J.K

Les moments d’introspection nous amènent à réfléchir. Comment dès lors ne pas s’appuyer sur les quelques événements solitaires qui voient naître la pensée? Le catalogue raisonné du maître Gérard Schlosser, par exemple, que je viens de commander… Ou le hasard d’une redécouverte cinématographique avec le « Lost in Translation » de Sofia Coppola et notamment sa délicate ouverture. Une scène qui salue et souligne le travail de John Kacere. Une scène dont l’évidence ne pouvait que séduire l’avidité de mon regard. “Women are the source of all life, the source of regeneration… My work praises that aspect of womanhood.” Ces mots que tous prêtent sans cesse à l’Américain? J’y souscris complètement. Manifeste donc, l’empreinte de ces deux peintres sur mon approche… Manifeste aussi l’avantage de l’hommage qui, libéré du fond, peut se concentrer sur la forme et son surpassement..

#johnkacere #cedrixcrespel #crespel

« John » 150×150 2020

« Kacere » 150×150 2020
JK7 33×41 2020
JK10 33×41 2020

None Of Your Tears Will Dry

3x 162×114

Entendre l’hommage, c’est entendre une certaine vassalité. Une déclaration forte. Un serment d’allégeance que seul le sens de la projection justifie: au-delà du corps réside l’idéal moteur qui distingue la vie de la mort . Hevrin Khalaf le savait sans doute. Cédrix Crespel l’établit. S’emparer cérémonieusement du meurtre de la jeune femme pour peindre un triptyque dépasse largement l’acte politique et militant. Il en va de foi. De confiance absolue en la non-matérialité. En la gratuité radicale et désintéressée de l’engagement – ou d’un motif ni téléologique, ni ontologique -, qui gonfle de positivité l’action humaine. Et, c’est précisément là qu’un artiste travaillé par le dépassement de la limite, la libération de potentiels ou, simplement, la désolidarisation entre la chair identitaire et la signifiance puise l’énergie du renouvellement et de la déconstruction nécessaires à la vitalité de son propre être-au-monde

Car, ce qui lie l’existence du peintre français à celle de l’activiste kurde ne relève pas du tragique. Au contraire. L’ignominie infligée au corps d’Hevrin Khalaf nourrit paradoxalement son iconisation et sa transformation en un symbole abstrait. Qu’une caste phallocrate, vieillissante et avide d’absolutismes s’acharne transcendantalement sur l’enveloppe physique d’une jeunesse progressiste parce que idéaliste montre à quel point cette caste ne considère et ne comprend l’ ici-et-maintenant qu’en termes de finitude. C’est le cynisme maladroit d’un particularisme nihiliste effrayé par l’enthousiasme d’une croyance non-métaphysique attentive à la dynamique. Et c’est également l’absurde des rapports qu’il induit. Pouvoir et puissance diffèrent en effet. La peur s’obsède pour le premier tandis que le courage maintient l’espoir par l’exercice de la seconde. Voilà donc la raison. Le motif. L’élément qui motive l’instinct du peintre puis sa décision.

À l’indignation – légitime mais inutile – répond alors la volonté. Parce que le fatalisme instaure, établit, fige. Or, Hevrin Khalaf a incarné l’exact contraire. Sa mort mérite et, surtout, exige une lecture à la lumière de son itinéraire. Vivre, c’est se frotter aux immobilismes. Se confronter aux forces de résistance pour transformer l’entrave en contrainte positive. Nous, qui lui avons survécu, possédons la force nécessaire pour déplacer l’énergie vitale qui l’a portée de la finitude de son corps à la circularité infinie d’une mémoire collective. Une mémoire qui se souvienne moins du visage que de l’élan et des antagonismes qui l’ont paradoxalement nourri et grandi. Le peintre mobilise ce tableau. Point de sentimentalisme personnifié. Le portrait trahirait. C’est la limite radicale qu’il célèbre. La vitre brisée. L’objet , à l’image de la chair, détruit. La violente finitude de l’espace physique et matériel qui a réveillé toute la puissance du vivre d’Hevrin Khalaf. Celle qui distingue le surhomme des ressentiments moralistes.

Le reste est affaire d’observation, de disponibilité. Crespel divise.Par le cadre mais aussi en son sein. La mesure est partout. Ce qu’il charge d’informations figées est acculé par les zones libres et ouvertes aux projections. Mais il s’épargne soigneusement la mise en opposition binaire. Dans une approche deleuzienne, il sacralise le mouvement au-delà de l’ensemble et de ses parties. Il y a ce que l’on voit, ce qu’il montre et tout l’infini qui existe au-delà de ces espaces clos. Lui qui sans cesse lutte pour dépasser la finitude du genre, de l’académisme, de l’habitude ou simplement de la peur, ne peut se positionner face à l’histoire Khalaf autrement que par la perspective de la dynamique, du possible. On ne rend pas hommage à une somme d’actions. On ne rend pas hommage à une exemplarité. On ne rend pas hommage à un sexe, un âge ou une culture. On célèbre la transformation, la soif inaltérable de vivre par-delà les joies et les souffrances dans une réalisation pleine d’autant de potentiels que le temps individualisé dispose.

Guillaume Rivera

None 162×114 2020

Of Yours Tears 162×114 2020

Will Dry 162×114 2020

LIGNE BLEUE MARRAKECH

Fuir l’acquis. Toujours. Sans cesse. Brusquer les certitudes pour construire d’autres horizons, ou simplement s’ouvrir à de nouvelles perspectives. Il n’y a que peu d’art dans le conformisme. Aucun artiste sans le goût de l’imprévu. Tiphaine et moi l’avons appris. Notre derniere surprise s’appellera «Ligne Bleue». Poursuivre le chemin initié à deux sans tomber pour autant dans la redondance.

Un changement de dogme. «Ligne Bleue» est donc cela: un nouveau postulat, une nouvelle ligne, une ligne bleue. Il y a d’abord la chromie unique. Par hommage. A Marrakech, ville qui nous a vu naître et renaître. Aux grands aussi. Ceux qui ont bercé notre regard. Matisse, Monory, Klein, évidemment. Mais au-delà. Le bleu comme contrainte positive. On évacue la couleur, sa facilité. On fuit l’habitude et force le geste à se surpasser. La monochromie n’est pas un caprice. Elle est un stimulant, un levier, un dogme qui enraye les artifices et conduit à l’essentiel. Vient ensuite l’itération. Traiter répétitivement un même objet. L’user pour en extraire un potentiel plein. Tiphaine l’a toujours su. Son “Langage des Jambes” en est le meilleur porte-parole. Je le sais aussi désormais. Depuis “Deep Pola” et ma dernière résidence à Jardin Rouge, je décline ses clichés en multiples variations. Puisque l’époque sérialise l’image, notre dogme aussi. Enfin, ou surtout, l’association. Celle de la source et ce qu’elle enfante. Celle de la photographie et de la peinture. Il ne s’agit plus de représenter ou traduire le pola mais d’y entrer, d’y plonger. Nous nous séduisions à distance par le jeu de nos correspondances.

A présent, nous nous consumons par le travail artistique. De la parade à l’acte, nos travaux s’unissent et se synthétisent. Le dogme est donc commun. Ligne Bleue le sera aussi. Un concept qui impose le renoncement radical. A l’habitude nous l’avons dit. A l’individu également. Mon corps et mon esprit, mis au service de l’oeuvre. De même, le corps et l’esprit de Tiphaine offerts à l’acte créatif. Ni moi, ni elle. Tout au plus l’entité Crespel disposée aux faveurs de la recherche artistique. Et dans cet esprit d’abnégation, notre dogme exigera une production soutenue. Dans le temps comme dans son volume. Ligne Bleue, ce seront 50 nuances de notre bleu en 365 jours.

We are always running away from pre-acquired knowledge. We are continually breaking down certainties in order to build new horizons, or to open up to new perspectives. There is little art in conformism. There is no artist without a taste for the unexpected. Tiphaine and I have learned it. Our latest surprise will be titled “Ligne Bleue” (Blue Line). The new series follows the path we initiated together in the past, but does not fall into redundancy. The dogma has changed. That is what Ligne Bleue is about; it is a new starting point, a new line, a blue line.

The first singularity is the colour. This comes as a tribute. A tribute to Marrakech, the city where we were born and reborn. A tribute to the great masters too. Those who rocked our eyes; Matisse, Monory, Klein, of course… But it is far more than that. Blue is a positive constraint. We are leaving polychrome behind with the intention of making things more difficult. We want to avoid habits and force the gesture to surpass itself. Monochrome is not a whim. It is a stimulation, a leverage, and a dogma that stops contrivances and forces us to reach the essence. Then, comes iteration; the same object is repeatedly treated. It is worn out so as to extract its full potential. Tiphaine has always known it. Her Langage des Jambes illustrates that perfectly. I know it too, now. Since Deep Pola and my last stay at Jardin Rouge, I have used her shots recurrently in multiple variations. Our dogma serialises the image, the same way our epoch does. Finally –or especially– there is an association. The association of the source and what flows from it. The association of photography and painting. The question is no longer to represent or translate the polaroid but to enter and dive into it. We used to seduce each other from afar through our correspondence game. Now we are consuming each other through our artistic work. From courtship to action, our works have united and synthesised. We now have a common dogma and Ligne Bleue will be a joint work. The concept asks for a radical renunciation. Renunciation of habits, as we said. Renunciation of the individual as well. My body and my mind serve the artistic work. Similarly, Tiphaine’s body and spirit are placed at the disposal of the creative act. Neither me nor her. At most the “Crespel Entity” put at the service of artistic research. In this spirit of abnegation, our dogma will require sustained production in volume as much as in time. Ligne Bleue will consist of 50 shades of our own blue in 365 days.

Montresso Art Foundation
http://montresso.com/portfolio_item/ligne-bleue-crespel/

LIGNE BLEUE

Crespel_Cedrix_La_Gitane_150x300
Discipline-146 114
Blue_Legs-2_162x130
Blue_Legs-2_162x130
discipline 162×130 2019

La gitane 2 150×200
My Trench 10 3 73×50
Pour Dessiner Une jambe 120×140
Study Work 2019